La Techno était prophétique
Sexe en Free Party 

Lettre ouverte contre l'amendement 

fête du bruit 

réagissons ! 

Bruyante Techno

Bien avant la technologie liée au format MP3, la musique Techno a annoncé un changement à venir, qui prend nettement forme aujourd'hui. L'actualité nous apprend que la société américaine Napster proposant un logiciel destiné à faciliter l'échange et la recherche de documents audio téléchargables gratuitement sur internet, a perdu le procès qui lui a été intenté par les majors de l'industries du disque. Ces dernières étaient effrayées de l'ampleur que commençait à prendre ce phénomène compte tenu du volume exponentiel des échanges. Mais il est toujours aussi aisé de trouver quasiment toutes les musiques commercialisées sous la forme de MP3. Bien d'autres moteurs de recherche et logiciels existent, d'innombrables communautés de serveurs mettent en commun des fichiers privés. Un particulier peut aujourd'hui offrir l'accès à son ordinateur et laisser la possibilité à tout internaute d'avoir accès à ses fichiers personnels. Le disque dur d'un ordinateur personnel demeure une propriété privée non soumise au droit d'auteur. Aucune loi n'interdit ce type d'échange entre particuliers. Comment dès lors empêcher un particulier de convertir un album en format MP3 et le laisser à disposition ?
 
 

économie de la musique

Mais n'oublions pas que la musique existait avant sa conservation sur support. La fin annoncé du disque comme principale voie de rétribution des artistes, et centre de l'économie musicale ouvre une autre ère pour la musique. Si le disque représente le principal moyen de rétribution pour de nombreux musiciens, notamment les plus célèbres, la copie libre, légale ou illégale, mettra cette industrie à genoux.

Autrefois le musicien appartenait au noble qui l'entretenait ou bien survivait difficilement dans la misère complète. La société capitaliste bourgeoise a permit une relative émancipation du musicien mais a aboutit à la situation actuelle d'une complète domination de 5 majors multinationales. Les médiations entre le musicien et son public ont pris une importance monstrueuse, asservissant le culturel à l'économique. Il est légitime et indispensable que le musicien  perçoive une récompense à la mesure du plaisir qu'il donne à son public. L'industrie du disque rafle la quasi-totalité de cette rétribution, mais il va falloir trouver rapidement un autre système économique équitable.

La vague Techno a balayé les pays riches en influençant profondément le paysage culturel et les comportements culturels. Mais l'industrie du disque est largement passée à côté. Les milliers de Djs diffuseurs de cette musique jouent des disque vinyles qui ne passent pas par les canaux de distribution traditionnels. Le vinyle avait été condamné par les maisons de disques, mais il a brillamment résisté en partie grâce au mouvement Techno par l'intermédiaire de petits labels. Les majors ont bien tenté de récupérer une part de cette manne, mais les ventes d'albums Techno restent dérisoires à l'exception de quelques stars créées de toutes pièces. La musique Techno reste très largement le fait d'artistes anonymes dont le public ignore les noms.
 
 

Trouver la bonne musique

Le noeud du problème demeure sur le plan de l'information, McLuhan ne disait pas autre chose. Les ìautoroutes de l'informationsî telles qu'on les appelait il n'y a de cela que 5 ans, mettent à disposition de chacun une quantité d'informations proprement assommante, et la difficulté consiste à trouver celle qui a de la valeur. Chacun doit se forger ses propres outils de recherche. Chacun doit faire l'effort d'aller vers la musique sauf à abdiquer de son libre arbitre, dans lequel cas on est condamné à consommer passivement ce que les médias choisissent. La sélection demeure nécessaire, et sa pertinence est fonction de l'esprit critique et l'intelligence de chacun. Le but reste inchangé mais les moyens cessent d'être la propriété exclusive des détenteurs du pouvoir. Un processus démocratique est en route : le coût et la complexité technique du matériel nécessaire ne cesse de baisser, et on peut prévoir sans risque sa propagation dans la plus grande partie de la population des pays industrialisés. Télévision, téléphone, ordinateur, chaîne hi-fi seront sous peu intégrés en un seul outil, ou seront astucieusement combinables.

La musique va peut-être cesser d'être une marchandise; ce qu'elle a été tout au long du XXème siècle sous la forme du support enregistré. La valeur marchande de la musique ne passera plus par cet objet, mais par d'autres médiations : certaines ancestrales (le concert, la musique jouée en direct) d'autres modernes (radio, télévision et internet). Le public va peu à peu délaisser la version domestique de la musique (celle qu'on diffuse dans son salon comme un déodorant) pour renouer avec la magie de l'événement.
 
 

Une fête pour la Techno

La musique Techno prend son sens dans un type d'événement particulier : la fête. Son origine provient d'un lieu souterrain, étranger au bon peuple. Le ìclubî où dansaient des minorités ethniques et sexuelles avides de pouvoir exprimer une identité méprisée par la culture dominante. La rave ensuite, fête originale née de la House/Techno, des nouvelles drogues de synthèse et d'une jeunesse trop heureuse de fuir la grisaille quotidienne. Un déferlement sonore, chimique et politique aussi, contre l'oppression utilitariste des pouvoirs occidentaux. La Techno s'écoute également chez soi parce qu'elle procure une sensation de vitesse et de mouvement favorable au travail, et cela surtout parce qu'elle replace l'ambiance dans le souvenir de la fête. La musique Techno parle au corps, l'invite au mouvement; n'existe que par son lien avec un autre temps et un autre espace : celui de la fête. Qui écoute de la Techno chez lui en a écouté en club ou en rave, c'est là qu'elle prend toute sa dimension et surtout sa signification. Si disque il y a, il déçoit toujours par rapport au son de la fête, sa valeur est moindre. La Techno invite à sortir de chez soi et du quotidien. Le rock était initialement ainsi, le jazz, le Raggae et le Blues aussi mais ils ont été domestiqués par la culture dominante, assignés au disque par les médias. L'intérêt du concert Rock ou Jazz a considérablement décru depuis sa convergence vers le modèle dominant d'insertion sociale. Musique de minorité noire américaine, elles ont basculées à la domination blanche des classes moyennes/supérieures. Le concert rock maintient le plus souvent l'audience dans une passivité et une soumission presque complète : la star inaccessible juchée sur une scène, acclamée par une foule indifférenciée et fascinée. Si le phénomène existe dans la Techno, il affronte une résistance déterminée du fait de la nature inconciliable de la fête Techno : comportement illégaux (Free party), consommation de stupéfiants quasi-systématique (pas tout le monde, mais la drogue est toujours présente dans une fête Techno) et surtout la réduction drastique du clivage scène/salle. L'audience est reine, elle s'admire elle-même et le musicien ne se place pas au centre du monde.
 
 

Le devenir de la Free Party

De ce point de vue, la Free Party annonce des changements futurs dans la place de la musique au sein de la culture, des mutations positives ou non. Il est trop tôt pour le savoir, c'est pourquoi nous devons agir dans le présent pour que la Free Party ne devienne pas un prétexte à une consommation égoïste de musique et de drogue.

Le fait que les sound systems soient obligés d'exiger une ìdonationî à l'entrée, la pollution inacceptable des sites par des gens qui jettent leurs ordures par terre sans même chercher une poubelle, la violence tenant lieu de dialogue, la consommation irresponsable (alors qu'elle pourrait l'être) de drogue, le refoulement de la sexualité, l'uniformité des gens et des sons, tous ces maux indiquent l'intégration malheureuse de la Free Party dans la société de consommation. On consomme la Free, mais ça n'a pas toujours été le cas. Il existe encore des Free bien organisées où les teufeurs se comportent de manière responsable, mais les tendances négatives sont aujourd'hui fortement implantées. Il est évident que le mouvement évolue comme un chien fou et les organisateurs sont manifestement incapable de gérer la foule énorme des teufeurs, dont la plupart sont malheureusement irresponsables. Aussi irresponsables que les ìcitoyensî consommateurs. La poche de résistance cède peu à peu, personne ne peut ni ne veut stopper ce mouvement. Si l'autodestruction se fait trop voyante, c'est l'État policier qui y mettra un terme.

Puisse au moins la Free Party nous avoir montré qu'on pouvait avoir un autre rapport à la musique que la simple consommation passive, qu'on peut acheter ses disques ailleurs qu'à la Fnac, voire ne pas en acheter du tout, faire de la musique soi-même, être autonome et critique face au modèle dominant du consumérisme.

Emmanuel Grynszpan