Amendement inique
lettre ouverte en protestation à la répression contre le mouvement Free Party
La Free Party perturbe la l'ordre établi. Un amendement sécuritaire platement démagogique place une fois de plus les droits du possédant au-dessus des autres, poursuivant une politique qui a provoqué l'émergence du mouvement Free. Arguant que les raves doivent préalablement demander une autorisation préfectorale, les partisans de l'amendement rejettent (avec une gêne perceptible) l'accusation d'être anti-Techno. Mais aucun choix n'est offert sinon celui de se soumettre à l'arbitraire des élus locaux dont l'intérêt le plus immédiat est la tranquillité des riverains. De sorte que rien du tout n'est autorisé comme on a pu le constater ces cinq dernières années avec la disparition quasi-totale des organisateurs ayant opté pour une démarche légaliste. 

Maintenant que la répression s'amorce effectivement contre la Free, observons les moyens mis en oeuvre : confiscation (et le plus souvent destruction, quand on sait les conditions dans lesquelles les saisies se déroulent) des instruments de musique. Tout le matériel est saisi, des enceintes aux disques, des ordinateurs aux synthétiseurs. Les coups sont portés directement sur le flanc artistique du mouvement. La discrétion du ministère de la culture sur ce point soulève d'ailleurs des interrogations, car c'est son rôle de s'interposer au sein du gouvernement contre les tendances répressives récurrentes du ministère de l'intérieur.
 

Les difficultés pour organiser la fête Techno

Seule la Free a pu continuer à propager la Techno sur le territoire français. Le mouvement Techno n'est pas composé de moutons. Puisque l'autorisation n'est pas accordée, elle n'est plus demandée. Les pouvoirs publics n'ont pas fait le moindre geste pour assouplir le cadre extrêmement rigide de la réglementation des fêtes. Il n'existe que deux cas de figures : soit on dispose d'une solide organisation commerciale capable de supporter les lourds investissements, soit on dispose d'appuis politiques. Le plus souvent les deux sont nécessaires. Organiser une fête légalement coûte très cher, financièrement et moralement. Le public Techno a donc fait le choix d'aller en Free.

Que la Free party pose problème, cela ne fait aucun doute et ses partisans sont les premiers à le reconnaître. Le mouvement Free porte des valeurs libertaires et écologistes aux antipodes de l'image d'auto-destruction qu'on lui colle sur le dos. De nombreuses initiatives ont été prises en interne pour remédier aux problèmes, mais aucune initiative médiatique en revanche pour améliorer l'image de la Free. La méfiance jamais démentie du mouvement à l'égard des médias dessert énormément sa cause, à présent que la Free se trouve l'otage d'intérêts électoraux.

Quel choix s'offre aujourd'hui au simple fêtard ? La musique Techno n'est pas diffusée dans les boites de nuit ou bien sous une forme commerciale abâtardie. L'accès dans ces boites se fait sur des critères sociaux voire raciaux alors que l'accessibilité à tous est un principe de la Free. Or les pouvoirs publics manifestent des velléités pour pousser les fêtards dans les bras de ces entreprises commerciales que sont les boites de nuit. Il n'est pas difficile de voir les intérêts financiers sous-jacents. Si l'État ne récolte pas de taxe sur une Free parce que rien n'est déclaré, en revanche les trafics illicites des boites sont tolérés et tus parce que l'État perçoit des taxes importantes. Dans l'autre sens, des pressions ont été exercées par des syndicats de patrons de boites, inquiétés par la concurrence potentielle, sur les élus locaux afin de faire interdire les raves. Le milieu ne contrôlait pas non plus le trafic de stupéfiant dans ces nouvelles fêtes.
 

Les conséquences prévisibles de la répression

Pour l'instant les manifestations sont pacifiques, mais les participants aux Free n'ont pas l'habitude de décamper à l'approche des CRS. La scène Free cultive un certain goût pour l'insurrection. De violents accrochages se sont déjà produits lorsque les forces de police ont décidé de charger des fêtes Techno. La confiscation des instruments de musique ne se fera pas sans de graves affrontements. On peut déjà prévoir que les participants se montreront solidaires des sound-systems et formeront un cordon autour du matériel menacé de destruction. La radicalisation est inévitable. Les pouvoirs publics devront assumer la responsabilité de ces violences puisqu'elles seront déclenchées sur ordre du préfet. Les parents n'apprécieront pas  le traitement Pinochet réservé à leur progéniture fêtarde. Et la presse ne manquera pas d'en faire largement écho, évidemment aux dépens des forces de l'ordre et des autorités. L'opinion publique, aujourd'hui encore indifférente ou critique, ne tardera pas à basculer et c'est la majorité plurielle qui en fera les frais.
 

Goût de la clandestinité

La Free se vit avant tout autour de la musique et de la fête. La répression pourrait changer la donne. En bientôt 10 années d'existence, la Free a montré à des milliers de jeunes la possibilité d'oeuvrer en dehors du système. Le goût de l'alternatif et de la clandestinité est d'autant plus ancré qu'il est déjà la conséquence d'anciennes politiques répressives sur les plans culturels et sociaux. La charge subversive anticonsumériste et libertaire ne suffit pas à faire de la Free un mouvement ouvertement politique, mais une fraction importante des activistes Techno voient plus loin que la fête elle-même.  Des milliers de jeunes vivent aujourd'hui en France complètement ou en partie en dehors du système, sur le mode du nomadisme et de l'économie parallèle. Pour eux, la Free représente plus qu'un divertissement : elle est devenue un pôle essentiel de leur existence, autour duquel se construit un mode de vie. Il est illusoire de penser que cette jeunesse acceptera, même si on lui sert la même musique, de retourner dans les boites de nuit et autres lieux contrôlés.
 

Ni fait ni à faire

L'amendement a finit par être adopté... La démagogie l'a emporté une nouvelle fois. Reste que sur le terrain, les choses seront bien délicates à exécuter. Les négociations fumeuses proposées par le ministère de l'Intérieur ont logiquement réussi à dégoutter les négociateurs du mouvement techno. Les fêtes continueront à être organisées dans l'ombre.

Emmanuel Grynszpan