THE UNACCEPTABLE FACE OF FREEDOM

(LE FASCISME DANS LA MUSIQUE INDUSTRIELLE)

 par BRIAN DUGUID

texte original 

 
Article polémique analysant les rapports entre musique industrielle et connotations idéologiques. Brian Duguid fait une critique acerbe de l'usage immodéré et parfois irresponsable de symboles fascistes.

Le sigle du groupe NON
 
 


 
 
 
 
 


 
 
 
 
 
 
 
 

 


 
 

 

 

 
 
 
 
 
 
 


Pochette de l'album "TG" de Throbbing gristle
 
 
 

 


 
 
 
 
 


Thee Grey Wolves
 
 
 
 
 

 


 
 
 
 


Thee Grey Wolves
 

 

 


 
 
 
 
 


Thee Grey Wolves

 

 

 

 


 
 
 


La Totenkopf emblême des SS revue par Death In June
 
 
 
 
 
 
 
 
 


Laibach
 


 
 
 
 

 

 

 

 

 
 
 
 
 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Non, ce n'est pas un article sur Test Dept., pour ceux qui s'y attendaient ! Plutôt inspiré par Thee Grey Wolves, j'aimerais me pencher sur l'imagerie fasciste dans la musique "industrielle" et expérimentale.

Comme vous avez pu le constater, ce genre de musique est envahie par cette imagerie, tantôt ouvertement, tantôt plus subtilement. Des musiciens expérimentaux tels Throbbing Gristle, ont utilisé la symbolique du fascisme en affirmant que leur but était de s'attaquer aux préconceptions et de créer une audience plus ouverte d'esprit. Les punks firent un usage immodéré de la swatiska. Dans leur démarche de rejet nihiliste des valeurs établies de la société, ils prirent le parti de l'inacceptable afin d'exprimer le dégoût qu'ils éprouvaient pour le monde dans lequel ils vivaient. Victimes de ce qu'ils ressentaient comme une agression autoritaire, ils répondirent instinctivement en opposant à la violence sociale un choc antisocial.

Le groupe de rock avant-gardiste Laibach adopta l'apparence du totalitarisme à la fois pour explorer notre société autoritaire et la nature autoritaire de la musique "rock". Souvent accusés d'être fascistes, leur humour franchement ironique est là pour rappeler qu'ils ne sont pas ce qu'ils ont l'air d'être. Leur usage de symboles à la fois nazis et religieux ainsi que leur opinion que pour subvertir et détruire un état mieux vaut d'abord le connaître.

D'autres ne se contentent pas d'adopter une imagerie superficielle et vont jusqu'à adopter un comportement dictatorial afin de provoquer une réaction et montrer les mécanismes de contrôle. NON en est un exemple, qui faisait des concerts au début des années quatre-vingts consistants en des musiques rythmées à un niveau insupportablement fort. L'audience avait le choix entre fuir cet assaut autoritaire ou  bien accepter et explorer les plaisirs de la soumission.

Beaucoup de groupes au son martial se comportaient différemment quant à leur manière d'imiter un fascisme chic et la discipline extrême à travers leur présentation. Étant donné que la plupart d'entre eux étaient opposés à l'ordre social existant, ils passaient beaucoup de temps à recopier ses symboles et styles. Des groupes comme Manufacture, Front 242 et d'autres utilisaient des rythmes militaires agressifs, accouplés avec des discours de leaders politique d'extrême droite et autres extrémistes religieux, présentant des informations brutes de leur environnement sans commentaire. Nous sommes "supposés" comprendre que ces groupes apparemment fascistes sont en réalité opposés au fascisme.

Ils attirèrent inévitablement des néo-nazis vers leur musique, qu'ils aiment leur musique ou non. Même des socialistes comme Test Dept. ont été décrits comme les "Thugs de la nouvelle gaucheî en raison de leur apparence masculine colérique et violente.

D'autres sont encore plus duplices. Death in June parsème ses albums de crânes, d'imagerie runique et  de style paramilitaire, et sont apparus sur scène dans le passé avec des chemises brunes. Leur goût pour les comportements et l'imagerie fasciste s'est étendu à ce qu'ils décrivent avec passion comme le "rêve européen", une supernation pan-continentale. Selon votre point de vue, cela peut être considéré comme un noble but, une insanité d'extrême droite, ou juste une preuve de romantisme particulièrement naïf. Dans la même clique musicale, Whitehouse et leur label Come Organisation ont utilisé une rhétorique suffisamment extrême, en public comme en privé, pour que même les consciences les plus libérales refusent de leur accorder le bénéfice du doute. Le racisme flagrant du leader de Whitehouse William Bennet semble avoir quelques prétentions à être une critique culturelle sophistiquée, en dépit des illusions de quelques fans. Les concerts de Whitehouse sont fréquemment le théâtre de fougueuses incitations à des actes racistes, dégoûtant la plupart de ceux qui étaient suffisamment libéraux pour leur accorder une chance.

Et il y en a d'autres : des artistes travaillant sur cassette dans le même domaine tel le AWB group, des racistes d'extrême droite qui ont choisit de s'exprimer dans le genre experimental eletronics, et Con-Dom, un projet solo en provenance des îles britanniques qui explore les domaines du contrôle et de la domination grâce à un mur de son primitiviste. Le monde des cassettes underground compte nombre d'exemples d'artistes qui exploitent ce genre de territoires, et bien que ce soit un moyen d'expression valide, cela commence à devenir un peu uniforme et privé d'imagination au bout d'un moment.

Throbbing Gristle montra a quel point un stylisme nazi de surface pouvait être élégant. Le noir, le rouge et l'argent produisent un mélange de couleurs très plaisant, et les insignes fascistes sont des symboles extrêmement puissants. L'imagerie a des antécédents dans le mouvement futuriste italien, avec son goût pour l'art dynamique et brutal. Beaucoup de ceux qui utilisent des motifs tels que la swatiska, comme Jim Thirlwell du groupe Foetus justifient leur usage simplement en terme de désir d'utiliser les visuels librement, en particulier ceux qu'ils trouvent psychiquement résonnant. Quatre décennies après que les alliés aient stupidement clamés la mort du fascisme, l'imagerie conserve sa puissante fascination. Les extrémismes de toutes sortes se réverbèrent profondément dans notre esprit: cela touche une partie de notre inconscient que les philosophies modérées sont incapable d'atteindre.

Et, bien sûr, les punks nous rappelèrent à quel point la swatiska demeurait aussi provocatrice après toutes ces années. Rejeter les excréments de l'establishment dans sa propre gorge était destiné à provoquer un réaction nauséeuse. Pour les groupes qui souhaitaient outrager la société, le fascisme était une arme puissante. Le temps finit par retourner cet usage contre son auteur, même si ces méthodes sont semblables à celles que la société lui a appris. 

Il est cependant discutable que de telles pratiques soient jamais fécondes. Elles ne changent certainement pas le système, mais renforcent ses désirs répressifs. La volonté de choquer semble fréquemment due davantage à un rejet nihiliste qu'à un désir de construction d'une alternative positive. Maman ne nous laisse pas jouer, alors nous nous mettons à hurler - voici à quoi ressemblent toutes ces provocations. C'est basé sur les mêmes émotions que celles qui déclenchent les pleurs de l'enfant. Notre environnement est déplaisant et destructeur mais nous ne nous sentons pas le pouvoir de faire quelque chose contre ça. Dans cette situation, le nihilisme est la seule option viable, mais cela reste une supposition fausse. Nous ne sommes pas impuissants, et accepter de l'être, ne rien faire sinon se plaindre, ne peut que repousser les chances de réaliser nos véritables désirs. Le nihilisme est contre-révolutionnaire, rend impuissant, et l'usage intensif de l'imagerie fasciste comme stratégie de choc a misérablement échoué.
De plus, en adoptant les tactiques agressives des oppresseurs, les punks et autres rebelles ont admis qu'ils n'avaient pas d'autres alternatives à proposer que celle de valider l'oppression initiale. L'état autoritaire se nourrit des rébellions, s'en servant comme justification à ses propres exactions.

En revanche, certains rejetons de la culture industrielle affirment que leur intention de choquer allait plus loin qu'un hurlement de protestation. lls affirment, comme SPK par exemple lorsqu'ils exhibent une imagerie sexuelle agressive dans leurs oeuvres, que le fait de choquer sert à sortir les gens de leur quotidien ennuyeux, à réveiller en eux l'idée que ce matériau extrême peut être envisagé objectivement, et non pas uniquement sujet à des réactions de rejet instinctif comme c'est habituellement le cas. Personnellement je trouve cela équivoque, car la répétition d'une image tend seulement à perpétuer les associations qu'elle éveillait auparavant. En d'autres termes, les gens qui trouvaient déjà répugnante cette imagerie ne vont pas changer d'idée juste parce qu'ils voient cette imagerie à nouveau. Je garderai pour une autre occasion une considération à propos de l'adoption d'un style agressif, apparemment fascisant chez des groupes comme Laibach, Test Dept. et consort. A la place, nous avons en face de nous un exemple d'usage d'une imagerie extrême conduisant à une conclusion logique: Thee Grey Wolves. Aujourd'hui, après un siècle d'expériences variées en matière d'extrémisme brise-tabou dans l'art et la littérature, cela ressemble à un recyclage de comportements devenus redondants. Cela peut sembler positif de critiquer ceux qui explorent encore les côtés sombres de l'humanité en substituant à l'originalité par une formule connue pour attirer l'attention. Est-ce un bon commentaire sur Thee Grey Wolves ? Ainsi dénommé, si je ne m'abuse, d'après un groupe terroriste d'extrême droite turc (de même que les individus du groupe électronique extrême Terre Blanche ont adopté le nom de famille du leader fasciste des commandos A.W.B. Eugene Terre-Blanche; ou SPK nommé d'après le Sozialistisches Patienten Kollektiv), Thee Grey Wolves fut créé en 1985. Ses deux membres ont aussi travaillés sur des projet solo comme Tactical Aid Group et Nails ov Christ, et distribuaient leurs cassettes via les labels Artaman Tapes et Strengh Though Awareness .

Déclarant être une manifestation du "réseau de terrorisme culturel", Thee Grey Wolves tentent d'adopter une attitude uniformément extrême pour tout ce qu'ils enregistrent. Leur catalogue de vente par correspondance est parsemé de symboles crypto-fascistes, d'images de nazis et consort. Leur enregistrements contiennent "Red Terror Black Terror", "Atrocity Exhibition", et "Legion of Hell". Parmi les projets réguliers de David Padbury (alias Crystal Knight) figure "120 days of Sodom", une exposition extrême (et probablement illégale) de mail-art. L'intention semble être de tester les limites autant que possible - briser les tabous par un traitement de choc - mais il est discutable que cela puisse supporter la comparaison avec l'infâme nouvelle du Marquis de Sade. ll est plus question de "Sodom" que de volonté de choquer.

La musique ? oh oui, la musique ! Comme beaucoup d'autres groupes produisant de l'"extreme eletronics", leur son est celui de l'intérieur de la tête d'un animal sur lequel une expérience est pratiquée, des hurlements des chambres à gaz, et de l'agonie d'une civilisation s'effondrant. Ceci est une interprétation. Autrement, je pourrait succinctement la décrire comme un "bruit inécoutable'. En réalité, la musique se situe quelque part entre les deux. Âpres, douloureux, chaotiques paysages bruitistes, pas suffisamment disjoints ou extrêmes pour être tout à fait inaudibles: une structure latente dissimulée existe au-delà du déluge sonore. Par delà le chaos vous vous pensez capables d'extraire des thèmes et des éléments subliminaux - mais il est possible qu'il ne s'agisse que d'hallucinations.

Malgré ce qui a été dit pour repousser l'auditeur, la musique est suffisamment écoutable pour sembler magnifique une fois qu'on a rééduqué ses oreilles. En temps que musique atmosphérique c'est sympathique, bien qu'un peu rude, si le genre d'atmosphère que vous aimez est celle que l'on trouve dans les abattoirs. Comme soundtrack de l'apocalypse, c'est un coup manqué, jamais vraiment proche de refléter les horreurs qui se cachent dans la vie réelle. Jusqu'à un certain point, on peut affirmer qu'un fois qu'on a entendu un mur de bruit on les a tous entendus, mais cela n'est pas juste. La  musique bruitiste recèle bien plus de possibilités d'expression qu'il ne semble au premier abord. Ce peut être sans esprit, violent, serein, odieux, magnifique. Si l'on considère que le bruit fait partie de la musique, d'autres artistes sont allés beaucoup plus loin que Thee Grey Wolves dans cette direction, mon favori personnel étant le musicien américain PBK, qui a réussit à créer une esthétique bruitiste attractive. Et comme je l'ai dit auparavant, si l'on tient le bruit pour un principe, je crois qu'aucune sorte de musique soit jamais capable de présenter les choses autrement que sous une forme dégradée d'extrémisme réel. C'est facile de réagir à l'imagerie d'un groupe à un degré simple, instinctif et immédiat. L'imagerie est répugnante (pour toute personne raisonnable avec une conscience sociale) et pourquoi devrait-on supporter d'aller voir plus loin ? Si vous êtes opposés au fascisme et êtes incapables de déterminer si ce que dit tel groupe est fasciste ou non, pourquoi donc devriez-vous être intéressés par cette imagerie déplaisante ? Si, comme il l'affirment, Thee Grey Wolves considère que son rôle est de nous présenter des informations que nous préférerions ignorer, nous rappeler quel est le vrai visage du fascisme, ne serait-il pas plus sensé de dire: "D'accord, c'est le vrai visage du fascisme, je sais ce que c'est, et je ne veut rien avoir à faire avec cela" ? Et si j'ai envie de savoir quelque chose à propos du fascisme, je n'ai pas besoin de Thee Grey Wolves pour me l'apprendre: il ne manque pas d'exemples réels sans avoir besoin de leurs reproductions. Briser les tabous est habituellement considéré comme une activité méritoire. Un groupe comme Thee Temple ov Psychick Youth l'encourage afin de se débarrasser de l'endoctrination sociale et de redécouvrir notre "vraie volonté intuitive". Du moment que ce sont les tabous qui sont concernés, c'est positif, puisque la plupart de ces action ne sont en réalité pas antisociales. Les tabous contre la violence sont des sujets différents puisqu'ils cristallisent ce que même des briseurs de tabous considèrent comme des principes à utiliser. Jusqu'où allez vous dans votre recherche sur vous-même ? Pouvez vous justifier un comportement "mauvais" parce que vous pensez nécessaire d'explorer à la fois les côtés sombres et clairs de votre personnalité ? Les résultats de votre auto-exploration sont-ils si importants qu'ils dépassent les effets sur les autres de votre exploration ? 

Beaucoup des artistes pionniers "industriels" explorèrent ces domaines: Throbbing Gristle et Monte Cazazza en sont parmi les meilleurs exemples. ll est probable que leur exploration de l'extrême aille plus loin que celle de Thee Grey Wolves puisque ces derniers se contentent de flirter avec une imagerie, ils ont personnellement expérimenté et  accomplit en public nombre d'activités sadiques et taboues, dont les poses de Cosey Fanni Tutti dans des magazines pornographiques sont sûrement les plus connues. Et ils sont loin d'être les seuls. 

En dehors du ghetto musical, des artistes tel Rudolf Schwarzkogler ont exploré des domaines extrêmes en profondeur. Schwarzkogler, un autrichien, mourût en 1969 à la suite de performances incluant des auto-mutilations. Son compatriote Hermann Nitsch est particulièrement connu pour ses projets dans les années 70, dans lesquels le public participait à des rituels cathartiques impliquant des sacrifices réels d'animaux, afin de renouer avec des instincts anesthésiés par l'aliénation sociale occidentale. 

Avec le temps, les membres de l'underground musical expérimental intéressés par Charles Manson, Jim Jones, Hitler et les autres icônes populaires du mal extrême, se mirent à justifier leur intérêt dans des termes simplistes et imbéciles tels "c'est ce qui me plaît, donc ça doit être bien", appelant chacun à suivre ses désirs les plus profond selon l'idée anarchiste libertaire. Lorsque ces désirs les conduisent à exprimer une fascination pour les meurtriers de masse, je commence à me demander où fixer les limites. Connaître son ennemi est très bon, mais l'intérêt montré par Boyd Rice (NON) semble souvent dépasser la frontière qui sépare le morbide du maniaque et du dangereux. Ce n'est pas uniquement la question de comment je, vous, ou les groupes réagissent aux allusions fascistes et violentes. Comment les autres réagissent-ils au contact de ces groupes ? Des gens sont attirés simplement par le fait que le fascisme s'exprime à travers des groupes comme Front 242, Last Few Days et beaucoup d'autres. La rhétorique fasciste attire les fascistes - une simple équation. Si vous n'avez pas envie d'attirer un tel public, alors vous ne devez pas utiliser leurs signes de ralliement dans votre publicité. Cela implique que quiconque utilise une telle imagerie est satisfait d'être associé avec les fascistes, et d'être considéré comme tel. lls ne trouvent pas cela insultant, sinon ils y réagiraient. 

D'autres y sont très hostiles. Si vous avez déjà souffert des effets du racisme, vous devez être plutôt récalcitrant  à toute sympathie libérale envers les supposés créateurs sophistiqués qui encombrent leurs pochettes avec des swatiskas. Vous pourriez penser que ce n'est que le résultat d'une incapacité à explorer et à dominer son conditionnement idéologique. Ce que j'accepte. Mais je soupçonne les gens qui pensent ainsi d'être incapable de bien comprendre ce qui a produit ce conditionnement  J'ai appris à faire le rapprochement entre les affiches du National Front collées sur ma porte et les chiffons enflammés fourrés dans ma boite à lettres, j'estime que je n'ai pas de temps à perdre à revoir ma conception sur ce problème lorsqu'on me présente un disque avec une couverture pseudo-nazie.

ll est peut-être raisonnable d'affirmer que c'est au public de tirer lui-même des conclusions en ce qui concerne les informations que les groupes présentent, plutôt que d'avoir les opinions "sans détour" du groupe enfoncées dans la gorge. Personne n'aime qu'on lui prêche la bonne parole. Les échanges furieux entre un groupe et une audience socialiste ne vont jamais déclencher une réflexion bien profonde, mais au contraire consolident des idées  figées. Mais les groupes doivent-ils être effrayés d'exprimer leurs propres idées au point de se cacher derrière une prétendue "objectivité" de l'information ? J'accepte avec joie un peu de subjectivité du groupe que j'écoute. Si je veux de l'information brute, je vais voir la presse. Ce problème est spécifique à Thee Grey Wolves, qui essaie de présenter son travail comme de la simple documentation. Leurs propres opinions sont rarement exprimées parce qu'ils pensent qu'il est préférable de laisser l'information jaillir sans distorsion due à une coloration subjective.

Cependant, même Thee Grey Wolves a été forcé de se déclarer opposés au fascisme, parce qu'il était devenu clair pour eux que si une mise au point n'était pas faite, ils perdraient toute leur audience. Cela signifie que, comme Laibach, ils doivent tempérer leur confusion délibérée par un discours justificatif, et le résultat fait diminuer le degré de provocation de leurs oeuvres. Si nous savons que ce ne sont pas de véritables fascistes, alors l'ambiguïté de leur présentation s'en trouve changée. Nous savons qu'ils désapprouvent ce de quoi ils traitent, et nous savons comment nous sommes "supposés" réagir. Les impératifs de la vie réelle les empêchent d'adopter une attitude parfaitement conforme à leurs intentions. La confusion comme arme révolutionnaire possède une longue histoire. Elle a été largement abordée durant ce siècle, depuis Dada et d'autres jusqu'à Fluxus et au-delà. À Zürich et à Berlin provoquaient de vastes tumultes à travers leur audience, rejetaient l'art du passé, et utilisaient systématiquement tous les paradoxes qu'ils pouvaient. pendant que Kennedy et Khroutchev se faisaient face en 1962, l'artiste Fluxus Robin Page transforma ce qui semblait être un concert rock en une impressionnante performance lorsqu'il jeta ses instruments de l'immeuble dans la rue devant une audience ébahie. Ne jamais laisser l'audience deviner ce qui va se passer, sinon il ne peut y avoir de défi. Ce principe a été utilisé par un grand nombre d'artistes du passé, et appliqué à des idéologies controversées et ambiguës peut mener à un intéressant et vigoureux résultat. Si les gens sont sûrs de ce que vous leur affirmez, on peut penser qu'ils s'en feraient une idée sans vraiment y réfléchir.

Si vos déclarations ne sont pas claires, ils doivent juger de ce que cela signifie, et cela les oblige immédiatement à considérer les choses de plus près. En d'autres termes, la confusion entraîne la réflexion. Thee Grey Wolves y ont réussit, en dépit de l'apparent manque d'originalité de leur sujet. Au contraire des  groupes industriels qui ont trempé dans l'extrémisme, (à l'exception possible de Whitehouse) Thee Grey Wolves en font l'unique objet de leur art, ainsi qu'à tout ce qui s'y rapporte. Il n'est pas inutile de préciser que toute situation extrême entraîne une réponse extrême. Les gens qui continuent à penser que nous ne vivons pas dans des situations extrêmes gardent depuis toujours leurs yeux fermement clos. (Ö)

Une réponse extrême n'implique pas nécessairement une violence extrême ou une réponse nihiliste. ll y a d'autres formes d'extrémisme. Si votre seul désir est d'attirer l'attention des gens en dehors de la télévision vers la réalité pour montrer à quel point ce monde est une honte, alors le nihilisme correspond à cette démarche. La sombre attitude adoptée par la plupart des artistes industriels représente une expression de mécontentement difficilement récupérable par la pensée dominante, comme le fut le mouvement punk, par exemple. Mais il est aussi discutable que cela ait aboutit à quoi que ce soit. Une critique négative ne peut jamais être satisfaisante. Un certain nombre de groupes rassemblés sous le vocable industriel l'ont réalisé. Test Dept., dont les brutales et originales performances scéniques étaient l'expression d'une colère, ont adoucit leur travail à mesure qu'ils progressaient, cherchant à adopter une position plus mâture. Sur leur album "Terra Firma", ils prirent des positions écologistes, bien qu'en général ils se maintiennent confortablement dans une position critique au lieu de s'avancer à chercher des solutions. C'est probablement une crainte de devenir didactique, de devoir expliquer à l'audience comment elle doivent réagir plutôt que de la laisser se faire un idée par elle-même. C'est aussi parce que le groupe n'a aucun programme politique à offrir, simplement une forme simpliste de conscience socialiste. 

Dans la même veine, Nocturnal Emissions est passé d'une tactique de déluge d'information présenté en réaction agressive à la société, à un style musical plus atmosphérique ces dernières années. Nocturnal Emissions essaye d'explorer un paysage plus personnel, se servant de l'instinct et de l'inconscient comme une voie vers une philosophie plus positive et moins impulsive. 

En définitive, il y a une difficulté à créer une réponse plus positive à la société post-industrielle. Tout ceux qui ont rejeté les démarches extrêmes craignent de devoir soutenir leurs opinions personnelles. Peut-être n'ont-ils tout simplement pas le courage de leurs propres opinions, et sont récalcitrants à les exposer à la critique. Ou bien encore ils apprécient le fait de partager ouvertement le même point de vue que les auditeurs, font en sorte que cela se passe ainsi, et se retrouvent piégés dans une idéologie à laquelle ils ne peuvent plus échapper.

Mais recopier le fascisme peut-il jamais conduire à sa destruction ? Ces supposés libéraux font-ils la sale besogne des nazis en créant un climat où l'expression des désirs fascistes est devenue acceptable ? La violence ne génère-t-elle pas que de la violence ?

Nombreux sont ceux qui estiment - et parmi eux Thee Grey Wolves - que la violence est le seul moyen qui nous est offert contre l'état tout-puissant. Quiconque croit qu'une rébellion en ce pays ne conduirait pas à une répression armée du type de la place Tienanmen, Jérusalem, Kurdistan, etc., vit en plein rêve. Les émeutes de Philadelphie, aux USA, entraînèrent une réponse militaire qualifiée de "restauration de l'ordre", avec des blindés dans la rue pour soumettre la population. La seule différence entre ceci et la Chine est linguistique: nous parlons d'"émeute" si ça arrive ici et de "rébellion" si ça arrive ailleurs; "terrorisme" ici et "guerre civile" là-bas. Les enquêtes sur la conspiration de la loge P2 en Italie dévoilèrent des liens avec l'organisation d'extrême droite Gladio, liée aussi aux forces paramilitaires britanniques qui se tient prête pour un éventuel coup de force "communiste". Le monde dans lequel nous vivons est  bien plus violent que ne veulent bien nous le faire croire les journaux, et l'argument selon lequel un tel état doit être combattu selon ses propres tactiques est très convaincant. 

La violence est inévitablement autoritaire et répressive: c'est une annihilation de la liberté de l'autre, même sans violence physique. La question n'est pas de savoir si l'usage d'une imagerie violente est "bénéfique". La question est d savoir si la fin justifie de tels moyens. ll y a toujours cette conception que le seul moyen de détruire l'état est de revêtir ses apparences. Est-ce le seul choix ou avons nous d'autres alternatives ? Je serais ravit d'avoir des réactions à ce sujet. Pour finir, voici la réponse de Crystal Knight, à qui j'avais écrit:

"Dans votre lettre, vous semblez suggérer que Thee Grey Wolves ont une approche nihiliste de la vie. Ce n'est pas le cas du tout. Bien que notre approche soit à la base anarchique, nous sommes sur le mode de l'ambiguïté pour plusieurs raisons: si tout ce que nous faisons ne mène qu'à une réaction du type "Mais qu'est-ce qu'ils foutent avec ça ?" cela aura été utile pour que les gens se posent des questions. Si les gens doutent, c'est qu'ils pensent. La confusion est la clef. ll m'a récemment été dit d'une manière indirecte que la majeure partie de mon travail traitait du contrôle."

"Si je pouvais prendre l'exemple du contrôle et de comment nous utilisons l'ambiguïté dans une dynamique positive, cela rendrait les choses plus claires. Nous avons conçu un poster montrant un type arrêté par des policiers en uniformes - les bras derrière son dos, le visage enfoncé dans la terre, et les flics avec leurs armes pointées - le commentaire est: "Dites non à la démocratie". Certaines personnes pensent que c'est en faveur d'une dictature alors que d'autre pensent que c'est ironique comme si nous disions "voyez ce qu'est réellement la démocratie!". Une autre interprétation nous satisfait: c'est celle de faire réfléchir les gens à propos de la démocratie, même si ce n'est que pour quelques secondes."

"je suis en désaccord avec vous lorsque vous dites que la violence perpétue les structures de l'oppression. Je crois exactement le contraire (la violence est une arme légitime de changement)."