La Spiral Tribe, organisateurs de Free party anarchiques, se sont
associés avec la Mutoid Waste Company, un collectif d'artistes sculpteurs
sur métaux usagers et assembleurs d'engins abandonnés. Réutilisant
les rébus de la société moderne, transformant les
déchets pour célébrer le millénaire, avec toute l'iconographie post-apocalyptique de Dan Dare et de Mad Max, Robocop et
une sensibilité de combattant dont les ancêtres auraient bien
pu être Beowulf. La Spiral Tribe a également exploré
au-delà de la façade de notre ìvie civiliséeî. Leur
art est la musique et il s'agit également d'une mutation, un son
généré par les ordinateurs, vaste péripétie
de sons et de basses à 20 Kilos de puissance pour faire pleurer
vos yeux. Pas de vibrations ethniques ni de guitares nostalgiques au coin
du feu, pas de rêveries sur les lendemains qui chantent, parce que s'il y a bien un groupe de gens inscrits dans le présent, ce sont
eux.
De ce monde virtuel et militarisé qui les a vu émerger
et qu'ils reflètent, bien déterminés avec leurs camouflages,
conduisant leurs camions militaires récupérés, vivant
dedans, avec leurs grosses chaussures et leurs crânes rasés.
Leur popularité connut un essor rapide grâce à quelques
fêtes en Angleterre, et vague de paranoïa hystérique
qui balaya les esprits de la population a conduit à une chasse aux
sorcières de la Spirale Tribe et de leurs semblables. Lors d'une
fête dans une maison vide à Acton, la police feignit une attitude
sympathique, puis tard dans la nuit commença à frapper sur
les murs puis se rua dans le bâtiment, matraques en avant. Ils détruisirent
le matériel de musique et frappèrent les gens au sol. La
Criminal Justice Bill autorise ce genre d'action imbécile et fasciste.
La loi concerne les tsiganes, les nomades, les rassemblements, les manifestations
pacifiques, réprime la Techno ìmusique en partie ou complètement
caractérisée par une succession de pulsations répétitivesî.
La conséquence est un exode vers la terre promise, L'Europe et au-delà
; tandis que l'Angleterre serre la vis, renforce la soumission à
la culture consumériste, l'inertie, l'énergie de la scène
Techno fuit. Nous sommes à la fin du XXème siècle,
la Spiral Tribe et les Mutoid errent dans les paysages désolés
de la république Tchèque, en Europe de l'Est.
La scène Free party Anglaise que nous avons laissé derrière
ressemble à un bébé kétaminé les yeux
tournés vers Goa. Nous avons pris le train à Victoria Station
et 24 heures plus tard nous étions à Prague. Nous avons rencontré
un homme de Preston qui avait fait la même chose et revendu son billet
de retour ! Qu'est-ce que ça signifiait pour lui ? Perdre son boulot,
quitter sa petite amie, la vie nocturne de Preston. Les autres gens que
nous avons rencontrés, un garçon nommé Luke, dont
le frère vit à Prague, organise des soirées et fait
venir des des Dj's d'Angleterre pour jouer dans les clubs de Prague. Dans
les bars autour de la gare centrale, nous avons rencontré des jeunes
fans de la Spiral Tribe, des étudiants faisant le tour d'Europe
durant leurs vacances, un trio de gros buveurs irlandais, des têtes
de Mohican familières du circuit des fêtes. Nous avons entendu
les nouvelles de l'endroit où se situe le festival, des rumeurs
et des anecdotes furent échangées, la Spiral Tribe s'est
connectée avec le réseau souterrain pragois.
Pour les novices, la référence sont les Merry Pranksters,
Ken Kesey, Mountain Girl etc. Une réécriture des circuits
cérébraux à travers l'usage du LSD 25, un reconditionnement
de la conscience comme si les anciennes notions se dissolvaient dans le
bain d'acide.
Ils sont les héritiers des Pranksters. Le concept hippie a perdu
tout potentiel mais la subversion ne peut être démodée, c'est inconcevable et inconciliable. Ce qui dénote en revanche,
c'est que les Pranksters portaient d'étranges et effrayants accoutrements,
peinturlurés au dayglo, non-conformistes gesticulant et baignant
dans un positivisme Prankster. Le monde scintillait autour d'eux et l'homme
marchait triomphalement sur la lune. Autour d'eux le monde quittait sa
cuirasse grisâtre des années 50 pour le Technicolor des sixties.
Mais ces nouveaux venus sont plus inquiétants et sombres, un sorte
de vision nihiliste de l'oppression policière, une explosion de
vibrations exprimant la crainte des enfant du monde occidental, paysages
urbains de pierre et d'acier pourrissant, où la vie est une zone
de combat, où dans un cri d'aliénation on s'effraie mutuellement
et mortellement. Les rêves d'une génération sont exprimés
pas ces hors-la-loi, et quels rêves, quels cauchemars !
Sur le site d'Hostomice en Tchéquie, on aperçoit un Mig,
avion de combat russe de la IIème guerre mondiale, monté
sur une remorque. Des véhicules militaires dont les roues sont plus
hautes qu'un homme, sont regroupés tout autour. Dans une large cage
de 3 m de haut pend une créature de métal dont la tête
soudée se tord vers le ciel dans rictus à la Bacon. Dans
la confusion nocturne, les lasers trouent la poussière stagnante.
Les mutoids traversent la foule hurlante dans une voiture déconstruite
équipée d'un chalumeau qui crache des flammes à travers
le pare-brise, et entouré de cracheurs et de jongleurs de feu. des
gens sont assis en cercle sous des bâches, d'autres jouent avec des
chiens excités. ìLa police d'ici nous a aidéî sourit une
jeune française aux yeux brillants ìailleurs ils nous tirent dessusî
dit-elle mimant des tirs en l'air.
En journée il fait trop chaud pour bouger. Un lac dans les environs
attire les gens et de leurs chiens. On distingue des corps endormis dans l'ombre. Seul les soleils rayons du soleil les sortent de leur inertie.
Une journée particulièrement chaude évolue au crépuscule
en tempête électrique, et tous émergent des campements
et des véhicules pour danser dans un tourbillon de poussière. L'électricité fait craquer
l'air, et parmi les rafales fraîches
et le vent chaud, les vibrations montent, acides, tangibles. Les Spirals s'accordent avec une précision diabolique à la brillance
de la nuit. Impossible de se soustraire aux rythmes, l'atmosphère
est faite de ce violent chaos d'ultrasons hurlants. Les projettent dans
le futur, fusant vers le ciel, et soudain une voix samplée retentit
: ìYOU DON'T KNOW WHAT YOU'RE DEALING WITHî [tu ignores à quoi tu
as affaire]. C'était l'expérience de la Spiral Tribe, enflammer
les pierres, le ciel, la poussière, les gens, tout ensemble projeté
en l'air dans la zone du numéro 23.
Pour d'autres la paranoïa prend une tournure insidieuse. Un garçon
effrayé de 15 ans, issu d'une école publique, cherche un
lieu sur Megatripolis et affirme que la Spirale Tribe a sélectionné
5 jeunes personnes dont lui et que tout autour, dans l'herbe, sur les pierres
et dans la poussière, apparaissent des lettres qui forment des mots
se rapportant à lui. La Spiral Tribe vous rend paranoïaque
mais c'est bien comme cela. Leur existence porte une signification cosmique
dans un monde qui perd sa raison d'être en se coupant des traditions
ancestrales. En chamanes du XXème siècle, ils nous montrent
que nous faisons fausse route. ìLe temps est venuî menacent-ils ìd'éveiller
la planèteî. Et pour le plus aigre des cyniques, il y a quelque
chose en eux de super galactique/futuriste qui reste impénétrable
par le cynisme. J'ai eu l'impression très nette en face des enceintes,
au son des basses, qu'une guerre était déclarée au
reste du monde. Et personne d'autre ne sait monter des fêtes aussi
fantastiques.
Au cinquième jour la Spiral Tribe coupa le son et les Mutoid
rangèrent leurs sculptures sur la demande du maire pour mettre fin
aux réjouissances. La manière dont il parviennent à
traverser les frontières demeure un mystère pour la plupart. L'iconoclaste équipage se fait passer aux yeux des douaniers suspicieux
pour un cirque ambulant. En fait il s'agit d'un cirque nomade possédant
tous les paradoxes de la représentation populaire du cirque. En
dehors de la société, parodiant la société,
telle une pantomime de clowns et de danseurs, véhicules défoncés
dans une arène poussiéreuse, avec un avion de chasse tel
un substitut d'éléphant parfaitement incongru dans le paysage
est-européen.
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